Cet album est hanté, terriblement et tragiquement, et ce, à plus d’un titre. Il pourrait être cette vision d’horreur d’un charnier humain, des derniers spasmes qui agitent d’effroi et habillent encore les corps dans leurs derniers espoirs. D’une noirceur totale et puant le désenchantement absolu, "Sår" est l’œuvre d’un trio danois visionnaire qui auscultera, sur ce premier album, les cadavres du temps, les derniers cauchemars de l’existence et les desseins morbides et innommables de la conscience humaine. Emboîtant le pas aux premiers soubresauts des œuvres de BETHLEHEM, DEINONYCHUS, mais également STRID et préfigurant les albums sadiques des SILENCER, ANTI ou autres PSYCHONAUT 4, avec un certain goût aussi pour la Noise et les éléments d’ambiances hostiles du Power Electronics, les Danois de SORTSIND ne se privent pas d’amplifier notre angoisse par les assauts lugubres et répétés de leur Black Metal glauque et dépressif.
Pionnier avec d’autres de la future vague du DSBM (Depressive Suicidal Black Metal), SORTSIND en distribue le jeu vampirique : riffing lancinant en boucle, batterie hypnotique blastant à tout va ou s’arrêtant dans un mid-tempo envoûtant, vocaux extrêmes, ensorcelés, et cris déshumanisés, nappes de claviers fantomatiques, son Raw et Lo-Fi, effets sonores remplis de miasmes ou suintant l’agonie… Voilà en substance ce qui vous attend avec "Sår". Autant le dire tout de suite : son contenu sonore est effrayant. Les ambiances sont à l’image de ce qu’elles décrivent : des contorsions corporelles spastiques, de l’angoisse suprême, du vice suffocant et de la dépression massive. L’écoute de certains titres boucle avec certaines de nos ténébreuses émotions enfouies. Je pense notamment à l’hymne d’ouverture, "Vandrer Blandt Dodninge", une incroyable pièce sonore tortueuse et torturée à l’excès qui, sous bien des aspects, conte l’horreur du désespoir et le saccage de la pensée lorsque tous les cieux de la pensée ne se délectent que de la Mort.
La glauquerie sera maître au sein d’incroyables titres quasi instrumentaux, seulement traversés de voix décharnées, hantées, tels que "Blot", "Sår" ou bien encore "Skumring". Un piano nocturne se penchera sur ces deux derniers titres pour augmenter le sentiment de déréliction, tandis que sur le superbe "Blot", c’est le clavier infernal de la maudite Smerte (qui se suicidera quelque temps après…) qui n’a de cesse de sadiser les tourments de l’âme… D’autre part, comme je vous l’indiquais dans cette chronique, SORTSIND se meut également dans les saturations diffractées et distordues des riffs à la manière des futurs GNAW THEIR TONGUES ou, si l’on veut faire un parallèle avec des groupes certes plus Électro mais certainement aux approches similaires, aux Allemands HAUS ARAFNA ainsi qu’aux Anglais de RAMLEH. Le titre "Dromme Om Evig Nat" est le parfait exemple de cette terreur sonore qui s’abat, dont les ramures folles s’immiscent pareillement au sein de "Blandt Gra Monumenter" et de "Vandrer Du I Natten Mork".
Un léger répit, quoique pas flagrant, se nichera avec le morceau "Jeg Er Kulden", qui me fait beaucoup penser au "Dracul Va Domni Di Nou In Transilvania" des Suédois de MARDUK, avec son mid-tempo hypnotique et léthargique à la fois. Mais ce sera tout du côté de SORTSIND. "Sår" est un album incroyablement dérangé et lugubre. Plutôt méconnu, il possède pourtant cette aura puissante d’être l’un des albums les plus extrêmes de la scène Black Metal de son époque. Hautement vénéneuse, la prestation vocale de son chanteur Svig est hallucinante. Si des longueurs subsistent, l’album est recommandable pour son écoute singulière et très malaisante. Peu d’albums auront été aussi loin dans la déraison et l’effroi. Les pionniers danois de SORTSIND en auront écrit l’un des plus sauvages. Cette œuvre unique, puisque l’album suivant, "More Days", n’est qu’un remaster de "Sår", est fortement déconseillée pour les cœurs fragiles et les amoureux du bon goût.