"Premiers baisers échangés… sur une plage en été… premier amour…" (sur un air connu). Arghh ! Je me suis emmêlé les pinceaux, désolé. J’essaie de rembobiner l’affaire, mais quelle honte charmante ! Oh et puis j’assume ! Je l’avoue avec force et courage, THRÄNENKIND a comme un air de fin d’été dans sa musique. Vous pourriez-vous dire : quel pauvre chroniqueur ! Jusqu’où va-t-on emmener NIME dans les bassesses et les tréfonds ? Nous avons tous tendance parfois à fantasmer des choses incongrues mais, ne tiendrai-t-on pas là le podium de l‘introduction absurde ?
Pourtant, à l’écoute du groupe bavarois, je ressens le souffle chaud d’une plage paradisiaque, un dernier jour de vacances passées avec les amis, enfin libre du joug parental. La torpeur avant l’indicible retour chez soi, les prémices anxieuses avant l’ennuyeuse quotidienneté. "The Elk" pourrait être un conte affreux, d’un jour d’été sous les tropiques. L’un de ceux-là qui entraînent un morceau de l’humanité à se mettre à genoux. Un jour où la futilité de l’existant, voire même de l’existence, s’est dressée à la face de l’humanité. Vous savez, celui du 26 décembre 2004. Lorsque la grande Nature n’en a eu que faire de tout ce qui s’accrochait à elle, l’a dévorée violemment en broyant sur son passage le vivant, sa finitude, son espoir, dans une marche en avant effrénée, ininterrompue et cataclysmique. "The Elk" pourrait être le livre maudit de ce témoignage.
Je pourrai avoir un très beau contre-transfert avec THRÄNENKIND, confirmer une certaine forme d’aigreur à leur encontre, mais je n’arrive pas à détester la musique produite. Au contraire, je me retrouve face à moi-même, avec l’obligation de me dire que la copie rendue n’est pas si mal. Car si le groupe s’entête à ne pas jouer la grande haine, à ne pas renchérir les verbes hauts et choquants, il milite pour raccourcir l’expression en confinant les riffs à jouer juste. La partie rythmique tient la ligne, serre les rangs, tandis que les leads expriment l’expiration d’une tristesse et la crainte d’un effondrement. L’espoir est souvent contrebalancé afin que le sentiment de dépression ne noie pas l’agitation, la colère, la rébellion. Les paroles sont adulescentes et plairont à une jeunesse désenchantée ou, au mieux, désabusée.
Car les jeunots de THRÄNENKIND, du moins ceux qu’ils étaient en 2013, sont bien en phase avec l’ère du temps et l’air du monde tout court. Anticapitalisme, véganisme à ragnagna, écologie etc… Que des sujets un peu ronflants et stéréotypés, mais clairement à l’image des préoccupations des générations actuelles, militantes de valeurs pleines d’engagement et d’affirmation. Des idéaux d’une grande respectabilité, porteurs d’une non-acceptation d’un quelconque conditionnement, ou d’emprise, sur la liberté libre, grand projet fondamental d’existence. En somme les membres de THRÄNENKIND sont des Rimbaldiens dans l’âme, comme tant d’autres. Et cette soif de vivre leurs valeurs, sans hésitation, sans crainte du lendemain, amène aussi son lot d’abattement, de déceptions, de colères dans leur musique. Vivre la vie sans espoirs ni regrets, conjurer le sort d’être vivant parmi les morts et d’être déjà un mort dans le royaume de la vie ; THRÄNENKIND est teinté de cette langue de désespoir qui manie l’art de la nostalgie.
Alors que dire des titres ? Beaucoup sont remarquablement inspirés. Je pense notamment au dernier, éponyme, instrumental, d’une grande beauté. Ou encore à "Today, The Sea (Anja’s Song)", belle balade près des écumes, pieds nus, où toutes empreintes sur le sable s’effacent à jamais, au rythme des vagues qui s’écrasent. Nous nageons avec THRÄNENKIND en plein Post-Metal, le groupe tenant boutique, auprès de l’éternelle jeunesse. Sa démarche semble adressée à cette tranche d’âge, que nous quittons, ou quitterons tous avec plus ou moins de regrets. Je fais un parallèle scabreux avec le groupe M83, notamment au titre "We Own The Sky" et son clip très évocateur, tiré de l’album "Digital Shades Vol.1". Je remarque que cette track pourrait être, l’alter ego bienveillant du titre "Eternal Youth" de THRÄNENKIND. Ce pont entre deux rives que j’établis n’est qu’un sentiment appuyé à cette inspiration ; le temps n’est plus, mais sa marque se retrouve cénesthésiquement.
Le groupe s’est éteint il y a quelques années pour renaître, tel un phœnix sous une autre identité, KING OF APATHY, et partir dans les contrées larvées et grasses du Sludge Metal. Du reste, la décision est honnête et remplit toujours ainsi la même démarche de congruité. Ma préférence ira toujours à THRÄNENKIND, à ses riffs transpirant la fragilité d’une tristesse contenue. Certains ont leurs livres de vacances qu’ils conservent, feuillettent leurs photos pour se remémorer des souvenirs, d’autres ont des mélodies, qui à jamais les hantent et les renvoient à des éléments du passé. Chaque jour nous rapproche de la mort… Et le prochain été ne fait qu’arriver.