Quand on pense que c’est parti autour de quelques bières entre amis... Après en avoir éclusé un bon paquet, Lee Dorian (qui venait de quitter le line-up de Napalm Death après avoir assuré les vocaux sur les deux premiers albums) et son ami Gary "Gaz" Jennings se sont dit que ce serait cool de jouer un doom metal rendant culte aux grands anciens, comme Black Sabbath ou Saint Vitus... L’année suivante, In Memorium sort, et le moins que l’on puisse dire, c’est que, bien que bourré d’influences très 80’s en doom/heavy, le disque se classe plus volontiers parmi les groupes extrêmes.
Car oui, le mini In Memorium et le chef-d’œuvre qui le suivra et confirmera, Forest of Equilibrium, relèvent bien du metal extrême.
Car on est très, très loin du doom de Candlemass, même si les influences restent présentes. Nous sommes en 1991, et Forest of Equilibrium est déjà épais, suffocant, glaiseux, très sombre — même comparé aux critères d’aujourd’hui. À la même époque, outre-Atlantique, un groupe de death metal du nom de Cianide, précurseur du doom/death, influencé par Winter ou Sorrow, ralentissait le tempo pour s’aventurer en quelque contrée doom, tout en restant du pur death metal. Cathedral faisait le même chemin, mais à l’inverse.
Jamais auparavant un doom n’eut un son si bas, si gras, aux cordes si pâteuses, comme la glaise que l’on retourne dans un cimetière anglais pour inhumer un défunt. Les vocaux, à un univers de distance du lyrisme d’Ozzy Osbourne ou de Messiah Marcolin, sont à l’image des cordes : bas, très bas et graves, évoquant, dans leurs éructations profondes, le death metal…
On pourrait penser, aux premières écoutes, que Forest of Equilibrium est en quelque sorte un père du doom/death metal, mais il n’en est rien. Le son est une chose, le riffing en est une autre. Bien des metalleux aguerris sont rebutés par la difficulté d’accès de l’objet, mais au bout du compte, on s’aperçoit que ce dernier joue sur deux tableaux. En effet, d’une part, les ambiances cradement funéraires de In Memorium ont été préservées, comme en témoignent l’abyssal “Commiserating the Celebration” ou encore le funeste mais néanmoins brillant “Reaching Happiness, Touching Pain” (avec la présence fantomatique mais sublime d’une flûte de Pan).
D’autre part, l’ombre du Noir Sabbath s’étend sur quelques pistes (“Soul Sacrifice”, headbangant au possible !) grâce à l’utilisation de riffs très groovy, d’une basse ronronnante et de vocaux en accord avec le rythme très entraînant, au hasard du fuzz ambiant. Brillant, très brillant.
Brillant au point de conserver sur toute sa durée une cohérence qui en fait un album extrêmement riche, que l’on redécouvre à chaque écoute. Les passages lents et mornes complètent ceux particulièrement groovy et chaotiques, et vice versa. La lourdeur abyssale est en fait brisée par un rythme cathartique et catchy, avant de retomber dans la poussière d’un doom dépressif d’un bout à l’autre.
Au final, Forest of Equilibrium synthétise, au travers d’un album résolument lent et long, le cheminement du metal extrême ou non des années 80, pour bizarrement en délivrer une formule unique : les riffs hérités de Black Sabbath, Candlemass ou Saint Vitus ; un aspect parfois rock qui insinue très discrètement le sentier stoner que prendra par la suite Cathedral ; des rythmiques venues du grind et du death (rappelons le parcours de Lee Dorian de ce côté de la barrière).
Pas étonnant que l’album porte le patronyme d’une forêt de l’équilibre, car de ce côté-là, tout est parfait, tout se complète. Et l’on y trouve aussi bien les sentiers sylvestres ensoleillés que des sous-bois terreux et humides.