DJEVEL c’est du lourd, du dur et du Black Metal norvégien comme il en existe que trop peu ou plus. Un de ces très rares groupes qui fait partie des dignes héritiers de la seconde vague et qui s’en est apprivoisé les racines dès le départ (Ciekals le compositeur et créateur de DJEVEL compose du Black Metal depuis 1993…). Pour l’heure, TAAKE a baissé le pavillon pour nous ennuyer à loisir. La vieille garde, les SATYRICON, les ULVER et consorts sont partis dans les limbes… GEHENNA, EMPEROR ne sont plus et je vous éviterai aussi un quelconque propos sur les survivants. Du dernier BURZUM sorti un peu trop tôt (les kermesses des écoles sont en juin), ou de la chronique du dernier DARKTHRONE déjà bouclée et qui résoudra vos problèmes de sommeil… Quoique !
Bref DJEVEL (= le diable en norvégien) n’est pas digne d’être associé à ces fantômes du passé même si à l’écoute de ce septième album, Trånn Ciekals et ses deux acolytes forts respectables Faust et nous ramènent à arpenter un peu les pentes du "The Shadowthrone" de SATYRICON. Outre l’aspect belliqueux et froid qui anime les longues compositions de "Tanker Som Rir Natten" (toutes tutoient ou dépassent les dix minutes, hormis le titre éponyme joué à la guitare acoustique), et la férocité crude qui perce les ambiances en maintenant un courroux tempéré mais pugnace, DJEVEL nous pilonne et nous encercle au fur et à mesure. Nulle échappatoire possible. Et c’est dans cette vaine tentative de fuite et déraisonnable que ce trio norvégien enclenche son mécanisme maudit.
À grands renforts de riffs envoûtants se dressant comme un blizzard épais et d’une hauteur infinie, la voix de Kvitrim nous appelle, nous somme d’arrêter notre panique et nous hypnotise puissamment instantanément. Son chant clair et ses vociférations graves nous arrêtent dans notre élan, et nous pouvons alors percevoir le processus mis en place par DJEVEL depuis l’album "Blant Svarte Graner" (2018). Notre substance de vie nous quitte, Ciekals et sa bande nous dévitalisent complètement. Captifs, à la seule merci des ambiances volatiles de titres tels que "Vinger Som Tok Oss Over En Brennende Himmel, Vinger Som Tok Oss Hjem", DJEVEL nous fait passer inconsciemment un pacte avec le divin infernal et nous convie à danser avec des spectres jusqu’à la déraison.
Chaque titre de "Tanker Som Rir Natten" (je vous éviterai peut-être leur longueur d’écriture) est enivrant au possible. Se distillant entre un mid-tempo ravageur émotionnellement et quelques accélérations bien senties mais jamais outrancières, la force de DJEVEL réside dans ce son de guitare très puissant et qui, par ces envolées quasi atmosphériques, nous permet d’incroyables évasions. Prisonniers si nous le sommes, le voyage intérieur et à l’intérieur du cercle tenu par DJEVEL force le respect. "Maanen Skal Være Mine Øine, Den Skinnende Stierne Mine Ben, Og Her Skal Jeg Vandre Til Evig Tid" pourrait ressembler à ce rêve halluciné et éveillé qui nous fait perdre pied et tomber dans notre propre vide interne. DJEVEL a cette force incommensurable de nous emmener sur des territoires diaboliquement désenchantés où nous nous délivrons de nos apparats humains et de notre sentiment d’être. Perché sur ce pin norvégien, sous la pâle lueur du ciel de la nuit et d’une lune gibbeuse – comme nous le dévoile la pochette sublime de cet album – nous entreprenons notre mue en rapace de la nuit, en créature envoûtée aux sens exacerbés et exceptionnels.
DJEVEL nous offre, ainsi que l’album suivant "Naa Skrider Natten Sort", un voyage extatique absolument somptueux dans un univers pourtant très Black Metal. Il n’est ici nullement question d’un Black Metal atmosphérique ni d’un conte épique avec des claviers à l’emporte-pièces. Non. DJEVEL arrive à créer à la fois une sorte de communion entre des éléments du Black Metal du passé galbés sous l’égide d’une production cristalline, et une collusion secrète avec le diable pour mieux nous dissoudre. "Tanker Som Rir Natten" est un album encore quasi parfait à l’instar de son successeur. Je ne peux me retenir de lui décerner la meilleure des notes qu’il soit et c’est un honneur. Chef-d’œuvre ni plus ni moins et bien trop méconnu !