Une fragrance toujours délicate mais terriblement nostalgique s’exhalant à chaque écoute, une émotion enfouie surgissant des profondeurs intimes, un souvenir perdu de plus regagnant la surface bien amarrée au réel, un arrêt sur images de l’âme en extase devant le gouffre de l’existence, une main tendue inaccessible qui se perd dans l’horizon… SHAPE OF DESPAIR a toujours su y faire pour partager la grandeur de la mélancolie et nous emplir de sentiments tourmentés. Et pourtant, le groupe a quelque peu sombré dans le soporifique après deux albums monumentaux, prestigieux, majestueux (… et j’oublie volontairement toute une nasse de superlatifs pourtant fort mérités) que sont "Shades Of…" (2000) et l’immense "Angels Of Distress" (2001), puis s’en est étouffé et éteint de lui-même après un "Illusion’s Play" (2004) décevant, parfois Pop aux entournures, mais sacrément plat dans son ensemble. Les gants raccrochés, les Finlandais ont regagné le chemin des ombres avant de faire hiberner le projet une quasi-décade.
"Monotony Fields", sorti en 2015, renouait avec les premiers élans graves et solennels du groupe en réépousant le Funeral Doom de leurs débuts tout en prenant attache avec de nouvelles aspirations plus atmosphériques et éthérées. L’arrivée de Henri Koivula (THROES OF DAWN) au poste de growleur d’outre-tombe n’arrivant toujours pas à nous faire oublier le talent irrévocable de Paski Koskinen, parti depuis des lustres se concentrer sur ses aventures Black Metal au sein de AJATARRA. Sa compagne, Natalie Koskinen, quant à elle, nous faisait l’honneur de continuer à perpétuer la magie gracile, des enchantements rêveurs et pensifs, que sa voix renversante nous laissait toucher du doigt. Alors, sept ans plus tard, lorsque "Return To The Void" parut dans un clair-obscur hivernal, avec cette pochette superbe signée toujours et encore Mariusz Krystew, il n’était pas vain que chacun des fans que nous sommes essayât de sublimer notre propre mélancolie en espérant le retour en grâce du groupe.
Pour tout dire, c’est parfois en demi-teinte que l’album passionne. Il est, je crois, utile et nécessaire de faire le deuil des deux premiers albums pour aborder convenablement ce nouvel opus qui, malgré tout, irrésistiblement, tire les mêmes ficelles que "Monotony Fields", avec quelques belles fulgurances au compteur, n’abusons ni ne nous méprenons pas. Le title-track qui ouvre l’album est sublime, et le port haut des vapeurs brumeuses d’une tristesse épaisse – à couper au couteau – par Natalie Koskinen sublime les riffs de Jarno Salomaa, les rendant amers et sombrement immersifs. Les larmes coulent et les doigts se serrent, les émotions affluent et refluent, se désincarnent pour s’effacer ensuite dans le néant de la pensée et la dissolution du moi. SHAPE OF DESPAIR émerveille à ce degré-là. Ce titre exceptionnel fait renaître l’espoir de retrouver les vestiges des beautés immobiles des deux premiers albums. Mais la suite va s’avérer plus compliquée que prévu. "Dissolution" peine à se lancer, et seules les parties lyriques de Natalie arrivent à contenter l’écoute du titre, à l’instar de "Forfeit", qui ne me convainc que moyennement.
Certes, SHAPE OF DESPAIR convoque toujours la beauté à son chevet, mais les Finlandais savent également nous faire trépigner ou nous bercer. Je ne serai pas aussi sévère concernant "The Inner Desolation", qui est la deuxième splendeur de cet album. Henri et Natalie commuent admirablement, et les riffs glacés, pétris de cristaux noirâtres et scintillants de Jarno, nous emportent, nous transportent de leur éther savamment apprivoisé. "Solitary Downfall" est également un titre passionnant et travaillé. Son introduction longue nous ouvre les portes de corne et d’ivoire, et, même si des longueurs se font sentir de par la répétitivité insistante de certaines parties, force est de constater que son voyage s’apprécie. Voyez, SHAPE OF DESPAIR, si le projet s’est enluminé un peu, le projet des Finlandais n’a jamais déserté les landes sépulcrales et intemporelles du Funeral Doom.
Plutôt que tergiverser de trop, j’ai choisi d’accorder une note cordiale et réconfortante à mes très chers Finlandais de cœur qui ont tant su m’accompagner dans les bourrasques. Au regard de la discographie que nous sommes un certain nombre à connaître sur le bout des doigts, je dois bien m’avouer que "Return To The Void" est une belle surprise qui conserve néanmoins quelques ombrages mal dissipés. Meilleur que "Monotony Fields" et surtout qu’"Illusion’s Play" (cela ne fait pas un pli, selon moi), ce cinquième album gravite avec respect autour de "Angels Of Distress" tout en s’approchant de "Shades Of…" qualitativement parlant. Les Finlandais ont mûri, se sont aussi adoucis avec le temps, c’est un fait. Mais ils ont également tissé des relations durables, grâce à leurs leads atmosphériques dentelés, leurs nappes symphoniques spectrales, leurs voix charnelles et lugubres, avec le divin du Funeral Doom, et ce, pour l’éternité.