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Abduction - Toutes Blessent, La Dernière Tue
Chronique par Storm - Publiée le 09/12/2025
Abduction - Toutes Blessent, La Dernière Tue
Note : 5.5/6
Genre : Atmospheric Black Metal
Année : 2023
Label : Frozen Records
Pays : France
Durée : 57:19
Tracklist :
1.
Toutes blessent, la dernière tue
05:58
2.
Disparus de leur vivant
07:57
3.
Dans la galerie des glaces
08:02
4.
Les heures impatientes
07:32
5.
Par les sentiers oubliés
04:09
6.
Carnets sur récifs
05:02
7.
Cent ans comptés
07:26
8.
Contre les fers du ciel
05:25
9.
Allan (Mylène Farmer cover)
05:48

L’année 2023 aura été une belle année pour la France avec notamment le retour magistral de EPHELES. Apportant avec "Promesses" un souffle glacial et givrant sur la scène Black Metal – la figeant d’un coup d’un seul par une rhétorique saisissante et une envolée de mélodies funestes, tel un balai de corneilles perçant un ciel couvert –, voilà qu’entre en scène le dernier album de ABDUCTION pour la clôturer d’une touche finale exceptionnelle. Et ce "Toutes Blessent, La Dernière Tue", ne fera qu’épaissir les nuées d’une torpeur romantique à la française sans jamais se compromettre à un quelconque azur facile, ou à l’inverse à un pathos tempétueux de tiers rang.

Fascinant et métaphorique, cette œuvre emporte l’imagination à travers les sinuosités d’une pensée réflexive qui peine à ne pas se perdre en elle-même et à déraisonner. Labyrinthique, l’album entame sa navigation dans les méandres sinueux d’une poésie musicale et textuelle, et contextualise notre présence face aux ordres du temps présent. Les multiples interrogations scandées par François Blanc sonnent comme autant de vers devançant l’expression même d’une pensée qui vacille. À l’image de ce magnifique tableau de Hubert Robert, [i]La Promenade solitaire[fi], qui orne la pochette, nous voici conviés à gagner aussi les rêveries d’un J.J. Rousseau (le peintre dessinera d’ailleurs sa sépulture établie à Ermenonville) ou à y apercevoir les prémisses visionnaires des pérégrinations forestières du jeune Gérard de Nerval en pays de Valois. Face à ce tombeau ou cette stèle, nous voici, à l’instar de cette femme, figés par une mélancolie lascive que des arbres déchiquetés par le temps encadrent. En proie aux pensées amères qu’une nostalgie accompagne, le frémissement des feuilles par le vent brise le silence et s’accommode de la singularité de ce recueillement.

ABDUCTION est à l’image de ce tableau émouvant et captivant, le groupe, sous l’impulsion de Guillaume Fleury, tisse des paysages sonores délicats où s’entremêlent un Black Metal véloce, conteur de la lie de l’humanité, et des mélodies pugnaces majorées par des leads dentelés du plus bel effet. L’ambiance poétique se cache, se déploie ou prend le contrôle de chacun des titres de "Toutes Blessent, La Dernière Tue". Un romantisme noir s’exhale prudemment des compositions et forme comme un halo spectral. Une forme d’aura entoure l’album et le protège pourtant des assauts voraces du spleen tout en laissant la douce lumière des souvenirs devenir souveraine. Les paroles versifiées nous ramènent aux heures les plus belles de la littérature française du XIXème siècle, où les rimes accouchaient des plus belles émotions. Il y a des [i]Mémoires d’Outre-Tombe[fi] de Chateaubriand dans ce quatrième album de ABDUCTION, comme il pourrait y avoir la prose des [i]Poèmes saturniens[fi] de Verlaine. FORBIDDEN SITE, LES DISCRETS, notamment, semblent apparaître aux entournures de certaines lignes de chants clairs, mais la comparaison s’arrêtera là, car elle ne saurait se suffire et pourrait faire preuve d’une pointe de dédain à l’originalité exemplaire du groupe. Certains y verront des accointances avec VÉHÉMENCE, mais j’en resterai à nouveau là, sans plus de détails. Les deux groupes partagent un seul élément commun : l’excellence.

La fragilité de souvenirs profonds tout autant que les impressions intenses d’un imaginaire intime paraissent se mettre en branle et instiguer l’origine des compositions. Chaque titre est habité par maintes émotions poignantes, et il serait déraisonnable d’en préférer certains au détriment d’autres tant chacun d’entre eux semble être le marchepied du suivant et forme un ensemble cohérent, qui corrompt le temps, tant l’écoute de cette quasi-heure de musique ne semble pouvoir être distraite. Nous montons ainsi, au fur et à mesure que s’égrène cet album, dans les étagères de cette bibliothèque sonore majestueuse aux effluves d’un bois de chêne. ABDUCTION s’écoute comme on lit un livre passionnant dont le point final ne ferait qu’animer la fierté d’avoir vécu une expérience. Et d’ailleurs, les paroles savamment inspirées rendent honneur aux lignes complexes des guitares. La production légèrement éteinte gagnerait à être davantage galbée pour magnifier quelque peu la dynamique de cet album, à défaut, il vous faudra monter de quelques crans le potard du volume et ainsi profiter de la foultitude de détails qui émaillent "Toutes Blessent, La Dernière Tue". La basse et la batterie, légèrement en retrait dans le mix, bataillent avec diligence à armes égales autour du jeu ravageur de François Blanc, qui manifeste une rage contenue dans son style vocal affirmé. L’alternance des rythmes et l’interposition de chants screamés, parlés ou clairs forment le socle d’expression de ABDUCTION.

L’album est varié et habite invariablement l’âme comme un fait exprès. Il fait émerger un entre-deux nourri et inondé de mélodies sans faille, charriant autant d’atmosphères épiques qu’atmosphériques, et teinté d’éléments progressifs. Sa singularité et le travail complexe qu’il transpire potentialisent son caractère raffiné et lui donnent la lumière suffisante pour que brillent du plus bel éclat les paroles de Mathieu Taverne et la densité de leurs propos. Que flotte haut le drapeau de notre culture, de notre France, des Lumières, du génie de notre art passé et à venir, et surtout de ceux comme ABDUCTION qui en sont les dignes descendants. Un album incroyable comme un voyage en Rêverie.

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