Des fois, dans une chronique musicale, on se demande. On essaie d’être objectif, de décrire de façon claire pour tous et de rendre compte au plus grand nombre pourquoi on a aimé ou détesté un disque. Alors que bien souvent, c’est un rapport entre une personne et une œuvre. L’exercice est vain parce que vouloir partager un acte passionnel peut paraître obscène. Et je revendique cette obscénité. Car cet album me tient à cœur autant qu’il peut être répulsif ou inutile pour d’autres.
Emmos n’est autre qu’un de ces innombrables groupes de black metal sortis dans les années 2000 au temps de la démocratisation des labels sur internet et du format CD-R. Produit par la structure Altsphere Productions qui a entre autres sorti le groupe de doom metal Surtr, nombre d’autoprods du tenant du label Jeff, mais aussi des groupes liés à la famille de Luc Mertz : Zarach’Baal’Tharagh Stigma Diabolicum ou encore Ewe. Un joli petit nom mais rien non plus de vraiment extraordinaire. Un petit label intègre. Ce n’est que par pur hasard que je suis tombé sur son projet Emmos, en feuilletant le légendaire catalogue D.U.K.E. Un avis dithyrambique, portant aux nus un album de black tribal et shamanique aux influences multiples.
Et lorsque j’ai écouté ce « Guided By Devil », je me souviens m’être posé une question : « Pourquoi c’est merdique mais aussi génial ? » La question a toutefois le mérite d’être aussi crue que le style de metal pratiqué ici-bas. Pour être parfaitement objectif, Emmos pratique un black/thrash teinté d’influences heavy mais aussi punk et parcellé très régulièrement de breaks acoustiques et atmosphériques. On a des leads progressifs heavy/thrash, des accélérations black metal bien senties soutenues par des vocaux punk hurlés bien hargneux. Des coupures à la guitare acoustique bouffée par la reverb qui renvoient à des atmosphères déprimées, pleine de nostalgie. Un pot-pourri qui, dit comme ça, renvoie à l’idée d’une musique très travaillée, aux plans aux petits oignons et à la production au moins impeccable. Et en fait, c’est tout le contraire au ressenti.
Les structures et l’écriture font bien preuve d’un vrai travail en amont, ne rendant pour moi en rien l’écoute ennuyeuse ou convenue. Des progressions dans les plans de guitares, et d’ailleurs il y en même deux, des breaks, des changements de vocaux, plein de choses. Mais le tout en réalité respire l’amateurisme total, dans son exécution comme dans la production. Parti-pris ou manque de moyens, peu importe, c’est dans l’ADN même du groupe. Production direct-to-pc, réverbération qui plonge jusqu’au plus profond de tes poumons, vocaux très peu maîtrisés surtout en clair, pincement de cordes à la limite du pain. Par moment c’est presque du mono-corde soutenu par une boite à rythmes dépouillée très « toc-toc-paf ». Du lo-fi dans toute sa splendeur, j’en passe et des meilleures. Difficile à expliquer, il faut vraiment l’écouter pour le croire.
Mais c’est peut-être tout cela, ce sérieux de l’écriture et ce dilettantisme intégral pour tout le reste qui fait le travail. Oui, Guided by the Devil est objectivement raté. Mais surtout oui, il retranscrit un paquet d’émotions totalement viscérales retranscrits avec cette dualité : la nostalgie, la souffrance et la hargne. Cette guitare dépouillée, cette boite à rythmes minimale, parfois mongole, ces cris sans maîtrise, c’est bien le signe d’une transe. On dénude, on va à l’essentiel. Dans sa présentation, Kurgan de D.U.K.E ne s’y était pas trompé : C’est intense non pas pour sa brutalité ou son épaisseur, mais pour son aspect immédiatement incantatoire et shamanique. Ne nous y trompons pas, ni l’ambiance ni la thématique n’est religieuse ou même rituelle, je parle de l’intérêt brut de l’objet et de son rendu immédiat.
Pas l’envie de bien faire mais de tout donner. Limité à 100 copies en format CD-R, introuvable en format numérique et à la publicité plus que confidentielle, l’album n’a certainement pas pu toucher un large auditoire. Toutefois, j’en avais entendu des retours de la part d’initiés avertis : nullissime pour certains, ça va ça passe tout juste pour d’autres, il aura néanmoins su me toucher dans toute sa simplicité. Rien d’objectif cette fois-ci. Comme dans toutes les chroniques.