Ecrire une chronique de Senthil est un exercice complexe pour deux raisons. La première est qu’il s’agit d’une formation touchant le fond de l’underground, de ce fait les infos sont rarissimes! La deuxième est la teneur même de leur musique; tellement sale et douloureuse qu’il n’est pas anodin de s’y plonger et d’en décrypter la couleur…
Il y a tellement de choses à dire pour une musique pourtant simple.
Commençons par le début: Senthil est une obscure formation issue du pays de la country music, de Janis Joplin, Pantera, ZZ Top et Destiny’s Child (!), j’ai nommé le Texas. Leur musique est ce qu’on pourrait appeler du sado-maso extrême doom (explications plus loin); deux membres composent le groupe, Plague (chant et tous les instruments, qui officie également dans Thra’el et Nivathe ), et Vomit (chant). Un guitariste nommé Wretch les accompagnait autrefois, jusqu’à son suicide; il ne sera pas remplacé.
La discographie de Senthil est relativement régulière, avec la démo Crypticorifislit en 2005, le split avec Bosque en 2006, et Septisemesis en 2007. La politique underground est palpable, ne serait-ce que dans le logo du groupe, sale, violent, indéchiffrable, décadent, mais aussi dans leur attitude face aux médias, le cancer caché de notre époque. Aucun site officiel ni réelle adresse E-mail valable, aucun interview, ni photo ni information diverse. Le secret est bien gardé.
Dans ce cas, concentrons nous sur la musique et les sensations.
L’objet est affublé d’une imagerie immonde et dérangeante. Une photo d’un cercueil ouvert, livrant la vue d’une sorte de nourrisson en état de décomposition avancé. Les 20 premières démos étaient envoyées tâchées du sang de Vomit et Plague, et accompagnées d’une lame de rasoir.
Une seule piste pour 23 minutes. On est immédiatement pénétré, après une courte intro faite de bruits étranges et de « sons de gorge », par un spectre sonore dégueulasse et rampant.
Une rythmique lente mais irrémédiable, des guitares ultras simplistes, malades, un schéma musical minimaliste mais qui monte crescendo, quelques notes se remplissant de sang très lentement, qui enfin se muent peu avant la fin et se replient encore plus sur elles-mêmes.
Production poussiéreuse, visuel répugnant, mélodie trop minimaliste pour être nommée en tant que tel, jusque là ça a plus ou moins déjà été fait, alors en quoi Senthil sort du lot et pousse encore plus loin les limites de l’humainement faisable?
Cette particularité, ce sont les vocaux.
Dès les premières secondes, des voix déchirantes et dissonantes nous agressent les tympans avec une sonorité encore jamais entendue, ainsi que d’insupportables gargarismes vomitifs et asphyxiés, comme si les deux « chanteurs » se faisaient étrangler en studio.
Et c’est le cas.
Plague et Vomit s’étranglent mutuellement avec des chaînes, d’où ces cris inhumains et hors de contrôle, ainsi que cet atmosphère claustrophobe et rêche.
Naturellement les paroles, s’il tant est qu’il y en ait, sont incompréhensibles, mais il serait question tout logiquement de torture, meurtre et autres basses inspirations.
Ces vocaux sont vociférés de façon aléatoire, sorte d’agonie, de plainte atroce, faisant de cette vingtaine de minutes une écoute pénible, oppressante; on se sent mal à l’aise.
Dans ce morceau, il n’y pas de répit, pas de clavier mélodieux (si ce n’est peut-être ce son artificiel discontinu, ambiant et inquiétant en fond sonore), pas de breaks ni guitare claire comme il était question dans la démo Crypticorifislit de 2005, où une mélodie un peu maladroite se voyait bouleversée par des samples en français, où on entendait un homme insulter et frapper sa femme… En d’autres termes, il n’y a pas de place pour la lumière ni pour l’oxygène.
Une démo extrémiste, à réserver aux plus atteints, comme dirait notre Renaud national: courte mais suffisante. Beaucoup de qualifications pourraient être étiquetées à la musique de Senthil (qui est aussi le patronyme d’un célèbre acteur Indien, à ne pas confondre), suicidal doom black, tortured doom… L’ambiance globale est d’ailleurs comparable aux Xasthur et aux Leviathan du début.
La musicalité, broyée par un minimalisme féroce, laisse la place à une macabre volonté de dépasser la masse, relançant par le même occasion le débat auquel nous sommes tous confrontés. Où s’arrête la musique proprement dite, celle à ranger dans la branche du divertissement, où commencent le danger concret et réel envers l‘être humain, la névrose, le voyeurisme morbide?
Car si c’est précisément ce qui nous excite et nous parle, ici, la musique flirte avec la mort. Réellement. Ce n’est pas anodin.