Premier album des Autrichiens et premier brûlot incendiaire d’un trio légendaire formé par Thomas Tannenberger (T.T.), Peter Kubik (P.K.) — qui s’en est allé aux enfers l’année dernière — repose en paix grand frère, et Michael Gregor (Silenius), "Verwüstung / Invoke The Dark Age" est intensément captivant.
En 1994, nous sommes dans une période où la scène du Black Metal s’érige au milieu de principes dits "True". S’interposant contre toutes formes de facilités commerciales mais aussi d’évolutions et d’accessibilité, nombre de groupes, du moins la majorité de ceux contemporains à ces années précises (1992-1995), ont porté cet élitisme d’esprit en restant anticonformistes, belliqueux jusqu’à l’extrême pour certains (les actes radicaux qui ont émaillé le genre dans les 90s – pas besoin de vous faire un dessin), et en s’accaparant une esthétique occulte et mystique.
En rejetant ainsi toutes formes de concessions possibles, les Autrichiens ont participé aussi à cette tension qui a fait la légende et les fondations du Black Metal. S’interdisant toutes sortes de prestations scéniques ou de mises en scène (clips, posters…), les Autrichiens ont dès le départ conservé cette hostilité et cette mise à distance des médias et de l’Autre d’une manière générale. D’ailleurs, le processus de création est aussi solitaire chez ABIGOR, chacun travaillant sa partie et l’envoyant à l’autre … sans jamais trop se réunir ou partager des répétitions.
Et l’on peut dire que cela a fonctionné dès le début car ce premier album est savamment prolixe en matière d’ambiances. D’allure épique et médiévale, "Verwüstung / Invoke The Dark Age" impressionne par son originalité mélodique (n’hésitant pas à partager des moments acoustiques, des nappes de claviers fantomatiques et quelques leads bien sentis). Et déjà le chant de Silenius en impose par son jeu varié et sa science du placement. Autre talent – et qui m’a toujours impressionné – le jeu de batterie de T.T. Ce dernier ne blaste pas à tout va mais nous propose une variété singulière et très technique. En résulteront des titres forts, puissamment atmosphériques, et ténébreusement mélodiques.
Les prémices du "Nachthymnen (From The Twilight Kingdom)" se sentent à plein poumons dans cette première œuvre de jeunesse. Avec PERVERTUM, qui aura un succès bien plus modeste et éphémère, ABIGOR pose les bases de la scène autrichienne qui fera pas mal d’émules les années qui suivront notamment par l’intermédiaire de ce trio magique qui ira dispenser sa profession de foi dans maints autres groupes. "Verwüstung / Invoke The Dark Age" n’est donc pas à négliger et se doit d’être passionnément écouté. Ce n’est pas un coup d’essai mais bien déjà un beau coup de maître.