Bien qu’ils n’aient jamais eu la visibilité contemporaine d’un BURZUM ou d’un DARKTHRONE, les Norvégiens de FORGOTTEN WOODS se voient aujourd’hui – à la lueur de l’histoire et de la postérité – réhabilités, et ce premier album promu comme une référence discrète mais essentielle dans la naissance d’un Black Metal plus introspectif que belliqueux, bien davantage désespéré et détaché du folklore "satanique" de l’époque (avec ces grimages, ces accoutrements, ces actes sulfureux, pyromanes, et j’en passe…). Du reste, cette influence souterraine qui bâtira par la suite les fondations du DSBM – à l’instar de leurs compatriotes de STRID – et engendrera les autres figures essentielles du style (SHINING, LIFELOVER, WOODS OF INFINITY, WIGRID, ANTI…), s’est accompagnée pourtant d’un nihilisme certain et d’un détachement cynique sur tout ce qui entourait la scène de l’époque.
Méprisant la notion ou l’idéologie même de "True Norwegian Black Metal", les premiers pas de FORGOTTEN WOODS se sont pourtant déroulés dès 1991, tout près des grands acteurs de la scène de l’époque. Olav Berland, le fondateur et compositeur essentiel de FORGOTTEN WOODS, décédé de maladie en 2022, était un grand ami d’Ivar Bjørnson d’ENSLAVED. Ce dernier l’avait d’ailleurs mis en relation avec Euronymous, après qu’il a écouté chez lui les premiers mixages encore balbutiants du "De Mysteriis Dom Sathanas". Lorsque paraît "As The Wolves Gather" en 1994, le groupe a déjà construit son son, son état d’esprit et sa singularité, notamment par la parution de leurs deux démos l’année précédente. Refusant les promotions et surtout les concerts, le sang noirâtre de ce premier album va pourtant se diffuser dans l’underground du Black Metal.
"As The Wolves Gather" va surprendre et prendre de court la scène norvégienne. En effet, en ne surenchérissant pas dans l’extrême et l’agressivité, ce premier méfait va s’affirmer comme un jalon essentiel et fondateur d’une branche plus désespérée et introvertie du Black Metal. Le chant atypique de Thomas Torkelsen, son timbre un poil détraqué et bizarre, va marquer les esprits et renforcer l’atypisme du Black Metal froid, répétitif et hypnotique, mid-tempo de FORGOTTEN WOODS. La basse, bien mise en avant également sur cet album, jouant même parfois un rôle central, va renforcer cette originalité. Écoutez donc le titre éponyme, génial au demeurant, pour vous faire votre propre idée. Les compositions plutôt longues vont, pour certaines, avec leur lancinance caractéristique, vous embarquer sur leurs rives noirâtres et mélancoliques. Je pense par exemple à l’excellent titre "Dimensions Of The Blackest Dark", paré de son rythme entraînant et d’un riffing plutôt entêtant. Mais nous pourrions faire le parallèle avec le titre d’ouverture, "Eclipsed", sûrement pas en reste pour nous distiller quelques ambiances bien norvégiennes dans l’âme.
Ce premier album marque la première période florissante de FORGOTTEN WOODS qui s’étale sur deux petites années. En 1996, après un EP tout aussi intéressant, "Sjel Av Natten", les Norvégiens vont revenir avec un album qui fera tout aussi date : "The Curse Of Mankind". Sorti via également No Colour Records, un label bien en feu à l’époque et qui signera de belles pointures (URGEHAL, GRAVELAND, FALKENBACH, DIMMU BORGIR, NARGAROTH…), ce second album, s’il conserve son côté Raw et froid, dévoilera également des côtés plus progressifs, montrant ainsi les influences secrètes et discrètes du groupe (THE VELVET UNDERGROUND, LOVE, Nick CAVE, PINK FLOYD…), faisant fi du qu’en-dira-t-on, et continuant en silence sa route éphémère et désintéressée.