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Strid - Strid
Chronique par Storm - Publiée le 28/10/2025
Strid - Strid
Note : 6/6
Genre : Depressive Black Metal / Ambiant
Année : 1994
Label : Malicious Records
Pays : Norvège
Durée : 13:52
Tracklist :
1.
Det hviskes blant sorte vinder
06:15
2.
Nattevandring
07:37

STRID, malgré sa rareté discographique, jouit d’une aura inaltérable. Son influence est invisible mais énorme. Cet EP de seulement deux titres et quatorze petites minutes de durée est rentré dans la légende. Considéré comme une des pierres angulaires, la matrice même, essentielle à la construction et au déploiement du DSBM (Depressive Suicidal Black Metal), à l’instar également de FORGOTTEN WOODS, "Strid" (= "la bataille ou le combat") a manifestement influencé un bon nombre de hordes torturées tels que SHINING, SILENCER, ANTI, NYKTALGIA, COLDWORLD ou bien encore BETHLEHEM, XASTHUR et THY LIGHT. Norvégien, et auparavant formé sous le patronyme de MALFEITOR en 1991, le line-up mouvant et incertain s’est concentré autour de la figure tourmentée d’Espen "Storm" Andersen. Musicien mélancolique, en proie à lutter constamment avec ses propres démons, qui auront finalement raison de lui un jour de 2001, lorsqu’il se jettera d’un pont pour aller se noyer dans une rivière, il est pourtant ce compositeur de l’ombre, sincère et discret, peu attiré par la lumière de la célébrité.

S’il ressemble beaucoup à Dead de MAYHEM dans son parcours de vie et son éthique personnelle, Storm était, selon des témoignages (souvent indirects), doté d’une personnalité fragile et obsédée par la mort et le néant. Sa disparition tragique n’a fait qu’accroître l’aura de STRID dans les milieux les plus souterrains du Black Metal, là où STRID est considéré à juste titre comme un fantôme éternel et rôdant. Pourtant, sa personnalité et son destin ont été effacés de l’histoire du Black Metal. Sa discrétion et sa sensibilité n’ont certes pas joué en sa faveur, l’absence de coups d’éclat, d’images et même d’interviews a contribué pourtant à renforcer son mythe. Pour revenir à cet EP légendaire, il me semble important que vous vous entouriez, à son écoute, de votre propre palette émotionnelle et que vous vous mettiez dans les conditions optimales pour les ressentir. L’introduction du premier titre, "Det Hviskes Blant Sorte Vinder", va, de toute manière, vous mettre dans un bain très immersif d’emblée. Suivi par des riffs lancinants et répétitifs mixés tels des nappes de brumes grisailleuses et épaisses, sous le patronage d’un mid-tempo et de claviers hypnotiques, vous vous dirigerez à l’aveugle vers votre autre vous.

La diction toute en demi-mesure de Storm va vous conduire également à traverser des landes désolées aux paysages mouvants où votre propre pensée chancellera, et où il vous faudra vous servir de tous vos sens pour ne pas perdre la raison. Le ciel au-dessus de vous vous encerclera de sa noirceur de plus en plus profonde et dense, le temps s’échappera et vous aurez le sentiment de ne faire plus qu’un avec l’ambiance mélancolique, poisseuse, fuligineuse et vertigineuse de ces deux titres. Rares sont les albums qui vous déréalisent, vous tiennent la main pour vous guider dans l’autre-monde et vous murmurent les derniers secrets du règne du vivant, mais "Strid" fait partie de ces objets intemporels qui vous traversent le corps, vous émiettent et vous éclairent les yeux d’une lumière auparavant inconnue. Lorsque "Nattevandring" (= "Promenade nocturne") entreprend avec vous cette longue marche forestière, sous la pâle lueur d’une lune gibbeuse, il est fort probable que vous ressentiez votre âme chercher à quitter vos entrailles et de la voir tourbillonner hagarde au-dessus de vous pour vous indiquer le dernier chemin…

Espen "Storm" Andersen a, au final, peu écrit de titres dans sa brève vie, mais leur impact s’est avéré puissant et visionnaire. Dans l’ombre de BURZUM, STRID est pourtant d’une authenticité extrêmement forte. À contre-courant des BATHORY, DARKTHRONE, IMMORTAL de l’époque, nos Norvégiens, consciemment discrets, ont diffusé leur poison sans jamais être dans le savoir-paraître, ni dans les discours suffocants et volontiers caricaturaux. Non, Espen "Storm" Andersen a préféré le retrait à la lumière, l’isolement de la société et du monde moderne pour mieux supporter son dégoût. Et ce mouvement solitaire, s’il ne l’a pas sauvé, aura permis d’accoucher de cet EP superbement immersif et pourvoyeur d’une incroyable rêverie triste. Je n’ai plus rien d’autre à ajouter… Merci Espen !