Aux premières heures du label Adipocere, il est indéniable que le label français avait sacrément le nez creux, un sixième sens ou lisait dans le marc de café pour dénicher et propulser les talents futurs. Le "Finis Malorum" de SACRAMENTUM, c’est eux, le "Under The Moonspell" de MOONSPELL, c’est encore eux, le "Bethlehem" de BETHLEHEM, le "Ravendusk In My Heart" de DIABOLICAL MASQUERADE, c’est toujours Adipocere. Et puis pour retomber un peu sur les pattes de cette chronique, notons que pour les Norvégiens de BEYOND DAWN tout comme pour les Hollandais de CELESTIAL SEASON, le "Longing for Scarlet Days" des premiers et l’EP "Forever Scarlet Passion" du second seront signés par… Adipocere Records. Attardons-nous sur ces deux-là l’espace d’un instant. Si CELESTIAL SEASON arrivera à sortir son chef-d’œuvre "Solar Lovers" en 1995, BEYOND DAWN le fera via Candlelight Records la même année et il se nommera "Pity Love".
Et dès les premières secondes, vous allez être invités à un voyage sonore fascinant et très singulier qui va vous embarquer aux limites du Metal. BEYOND DAWN est vite sorti des traverses que le Death/Doom des débuts les conviait à emprunter. Sous l’impulsion d’Espen Ingierd et de Petter Haavik, le groupe va muer et adopter une identité à part que l’on pourrait rapprocher à d’autres groupes de l’époque, au premier rang duquel pourraient assister MY DYING BRIDE, KATATONIA et ANATHEMA. Mais ce "Pity Love" a bien d’autres arguments. D’abord son ambiance spéciale : entre désenchantement et détachement, comme si le romantisme le plus noir croisait un dédain obscur et langoureux. Il ne s’agit pas de la nonchalance d’un groupe somme toute juvénile, mais bien du terreau obscur d’une œuvre fascinante et qui continue à l’être trente ans plus tard. De par ses sonorités parfois gothiques à la SISTERS OF MERCY ou doomy, BEYOND DAWN nous convie à emprunter son cabinet musical de curiosités.
La présence d’Espen au chant a des vertus spectrales : entre vociférations déchirées somme toute contenues et complaintes mélancoliques possédées. Le trombone de Dag Midbrød fait des ravages dans nos pensées et les hante jusqu’à caresser le point de rupture. Les rythmes hypnotiques proposés par Einar Sjursø aiguillent nos cœurs vers d’autres circulations. Et les riffs ne se feront pas prier pour troubler un peu plus encore les méandres mélodiques qui affluent et refluent vers nous. Écoutons ensemble "Embers", ou la magnifique pièce sonore qui inspirera peut-être ELEND, "As The Evening Falters, The Dogs How", juste saisissante et à tomber par terre… N’oublions pas le très cher titre "Storm", qui prolonge ce voyage jamais esseulant mais qui nous fait perdre l’espace et le temps.
Voilà, vous savez à peu près tout sur cet album prodigieux et magnifique de bout en bout. Nous pourrions à loisir en détailler chaque recoin, chaque motif, mais si ces quelques mots vous donnent cette envie de l’écouter, j’aurai réussi cette chronique. Peu d’albums aussi confidentiels vous saisiront autant, déposséderont l’Être et vous emporteront l’âme par leurs lames mélodiques. Gagnez donc la pénombre ou les cieux ardents du crépuscule et vivez cette parenthèse sonore qui sonne de manière si juste aux pâles lueurs de la vie.