Véritable acte de naissance discographique pour les Norvégiens, "For All Tid" cristallise en lui l’œuvre de jeunesse, une forme de beauté froide et une naïveté sincère. Sorti dans la période charnière du Black Metal norvégien, là où ce style commençait à vouloir se diversifier tout en maintenant et en affirmant son esthétique proprement nordique, mélodique et glaciale, ce premier album est un disque profondément atmosphérique. Les claviers, parfois rudimentaires, sont utilisés avec un goût certain, et la production brute, feutrée et crépusculaire – loin de la brillance symphonique des albums suivants – confère à "For All Tid" un charme plutôt austère.
DIMMU BORGIR tire son nom d’une formation rocheuse islandaise, qui est le reste d’un champ de lave lié à une éruption qui s’est produite il y a plus de 2300 ans. Des contes populaires personnifient ces excroissances rocheuses comme des trolls ou des elfes. Le groupe a déjà produit deux démos homonymes, ainsi qu’un premier EP, "Inn I Evighetens Mørke", qui attire l’attention d’un jeune label en devenir : No Colour Records. En enregistrant au Stovner Lydstudio à Oslo durant l’été 1994, le groupe dispose de moyens plutôt dérisoires. Shagrath y tient encore la batterie et les claviers (avant de devenir le frontman à plein temps à partir de "Stormblåst"), tandis que Silenoz assure les guitares et le chant principal. Le line-up est complété par Tjodalv (guitare) et Brynjard Tristan (basse). Deux invités vont partager les sessions d’enregistrement et participer avec leurs touches respectives à quelques envolées vocales : Vicotnik et Draug Aldrahn de DØDHEIMSGARD. D’ailleurs, ce dernier s’occupera des paroles écrites en norvégien ancien.
L’album, s’il passe plutôt inaperçu en dehors des frontières de la Norvège, marquera pourtant le groupe. Shagrath parlera de "For All Tid", la nostalgie aidant, comme d’un album dans lequel chacun des musiciens a eu le sentiment de capturer une essence de pureté. Silenoz, quant à lui, précisera que "For All Tid" représente « une époque innocente, sincère, où nous n’avions rien à prouver à personne ». Le groupe considère aujourd’hui cet album comme leur offrande la plus honnête, même s’il reconnaît ses maladresses techniques. Ils y voient le témoignage d’une époque où tout était encore à construire, avant la professionnalisation et la surenchère orchestrale qui les caractériseront quelque peu par la suite.
Du côté des compositions, si la majeure partie des titres ne s’établira pas dans le panthéon musical du groupe, ils comportent en leur sein, pour la plupart, l’ébauche des futurs chefs-d’œuvre du groupe. "Under Korpens Vinger" est sacrément accrocheur, avec le beau jeu vocal de Shagrath et les nappes symphoniques du plus bel effet d’un autre musicien de session qui occupera une place importante par la suite au sein de DIMMU BORGIR : Stian Aarstad. "Raabjørn Speiler Draugheimens Skodde" reste le meilleur des morceaux de ce premier album. Il sera, du reste, réenregistré pour une réédition de "Enthrone Darkness Triumphant" produite par Nuclear Blast en 2001, preuve, s’il en est, de l’attachement du groupe à cette période. J’aime également le titre de clôture, "Den Gjemte Sannhets Hersker", avec ses belles plages symphoniques et son riffing captivant. Le reste est plutôt inégal et demande encore du travail, de la technique et de la maturité, ce que les Norvégiens s’efforceront de faire dès l’album suivant, en 1996, avec "Stormblåst".