Côté pochette intrigante, les Italiens de OPERA IX avaient plutôt mis le paquet en dévoilant leur premier album. Il faut dire que la bande à Ossian D’Ambrosio s’est occupée un peu de tout pour cette première offrande. Leur label éphémère de l’époque, Miscarriage Records, n’avait pas forcément les moyens de s’occuper et de promouvoir correctement le groupe, alors les Italiens ont pris les choses en main et se sont occupés de l’enregistrement, du graphisme et de la communication… "The Call Of The Wood" sortira tout d’abord en cassette et se répandra un peu dans le milieu via le réseau du tape-trading et de quelques encarts promo dans des fanzines plutôt confidentiels, quoique l’album apparaisse, selon mes souvenirs, dans un des tout premiers Metallian. C’est à la faveur de la réédition et du remaster d’Avantgarde Music sorti en 2001 que cet album embrassera davantage la lumière.
Fondé en 1988 par Ossian, OPERA IX fait ses débuts en manifestant son attrait pour le Heavy Doom occulte avant d’opérer un savant virage vers le Black Metal et en recrutant, ce qui sera plutôt une grande première à l’époque, une frontwoman et vocaliste hors pair : Raffaella Rivarolo alias Cadaveria. Nous en reparlerons. À l’instar de leurs compatriotes de MORTUARY DRAPE et d’EVOL, OPERA IX appuie sa démarche artistique sur des thématiques occultes. Les Italiens ont toujours refusé le satanisme simpliste. Leur univers tournoyait bien davantage autour de cet ésotérisme mystérieux, aux expressions incantatoires et rituelles. Ossian, d’ailleurs, dans les années 2000, deviendra une figure du paganisme en Italie, publiant à compte d’auteur plusieurs ouvrages de magie, de sorcellerie et de symbolisme runique. Pour en revenir à ce premier album, notez que la singularité de celui-ci va vous surprendre. Tout d’abord, vous serez surpris de la longueur de certains de ses titres. Celui qui introduit l’album dépasse allègrement le quart d’heure.
Ne croyez pas qu’il s’étire dans de l’Ambient ou dans la déclinaison d’un Doom lascif, non, "Alone In The Dark" est une expression rituelle et ésotérique d’une histoire ténébreuse, mystique et expérientielle. La voix polymorphe de Cadaveria (narrée, criée, growlée) agit comme des imprécations envoûtantes. Son jeu précis et inspiré tout du long des compositions de "The Call Of The Wood" et du premier long titre précisément rend sa présence fascinante. Elle incarne ainsi une dimension sorcière, chamanique et mystique avec un charisme saisissant. Et la musique n’est pas en reste. Elle va surtout s’appuyer sur des tempos assez lents et hypnotiques. La répétition des riffs agissant parfois comme des mantras suggérant la transe. Difficile aussi de cerner ce premier album d’OPERA IX. Le considérer comme une œuvre de Black Metal serait réducteur, car le groupe enrobe ses riffs de mélodies parfois Heavy, Death et Doom. Les nappes de claviers sont aussi beaucoup utilisées pour rappeler les ambiances mystérieuses et démones dont le groupe cherche à nous contaminer.
Et cela fonctionne vraiment bien sur un certain nombre de titres. La grande variété des ambiances rend complexe "The Call Of The Wood" mais affirme également son côté novateur et original. Je reste marqué par le superbe titre éponyme, avec son côté moyenâgeux ou folklorique à la EVOL, tout en ne cédant pas un pouce à l’infernalité et à la lugubrité. Des passages tantôt épiques, tantôt symphoniques vont émailler ce titre et le colorer d’une dimension mystique géniale. "Sepulcro" est également cet autre long titre à l’expressivité importante. Sa dimension liturgique et mélancolique nous fait penser à une messe noire contée, et la grande variété de ses mélodies permet de traverser les minutes sans aucune monotonie. À nouveau, le charisme de Cadaveria et la grande qualité de son jeu permettent de potentialiser les ambiances distillées.
Visionnaire pour les uns, indigeste pour les autres, ce "The Call Of The Wood" laissera peu de fans de Black Metal et d’expérimentations indifférents. Sa grande richesse rythmique et mélodique, la concrétion des différentes influences de style qu’il convoque, ainsi que la palette vocale exceptionnelle de Cadaveria, rendent ce premier album attachant. L’album comprend peu de maladresses. L’agencement des différents titres aurait pu être différent, l’album un peu moins long, voilà tout. Mais, à bien l’entendre encore et encore, sa portée est indiscutable. "The Call Of The Wood" est un album occulte, bien à contre-courant des codes norvégiens, légions et promus en ce temps-là. Culte, inégalable et rare, il nous fait toucher du doigt les portes de l’invisible et quitter le monde profane.