En Pologne, au milieu des années 90, la scène du Black Metal était florissante et se dévoilait très souvent avec un son plutôt rustre, lié aux petits moyens évidents des labels, et donc au budget assez faible accordé pour les enregistrements studio. Nous pouvons retrouver ainsi ce son typique chez nombre de groupes actifs de cette époque. Citons par exemple NORTH, GRAVELAND, ARKONA, VELES, les premiers BEHEMOTH, les bien plus confidentiels MARHOTH, ou bien encore LUX OCCULTA. Si SACRILEGIUM ne vous dit rien, sachez que ce groupe est un des pionniers de la scène polonaise, et reconnu en tant que tel bien au-delà de leurs frontières. Roman Saenko (DRUDKH, HATE FOREST…) leur dédiera d’ailleurs une très belle reprise dans son EP "Slavonic Chronicles" (2010), sans même pouvoir rentrer en contact à l’époque avec eux, le groupe ayant splitté depuis l’an 2000.
Mais les Polonais ont repris du galon en 2015 et nous ont gratifiés depuis lors de deux autres albums, "Anima Lucifera" en 2016 et "Ritus Transitorius" trois ans plus tard. Preuve, s’il en est, que les reformations peuvent aussi redonner un bon coup de fouet à des groupes éteints bien trop rapidement. Car cet unique album de SACRILEGIUM, avant leur split, avait de quoi nous laisser légèrement frustrés. Pourquoi ? La raison est simple. Le trio originel avait un certain talent pour dénicher des riffs épiques, un soupçon guerrier, et des nappes de claviers imprégnées des histoires anciennes de la Mère-patrie. Profondeur émotionnelle, ambiance forestière d’un autre temps... SACRILEGIUM nous adresse un Black Metal très authentique, développé par des motifs sonores plus envoûtants qu’agressifs.
Formé en 1993 par Suclagus et Nantur Aldaron, biberonnés aux premières œuvres de DARKTHRONE, ROTTING CHRIST et MAYHEM, et de leurs travaux dans d’autres proto-groupes à la fin des années 80, ils décident de fonder SACRILEGIUM. En étudiant nombre de doctrines, le groupe décide de jeter son dévolu sur les croyances et les rituels des Slaves, et se met rapidement au travail et enregistre une première démo, "Sleeptime", qui reçoit un très bon accueil et fait parler d’elle. Peu après sa sortie, il est question d’une mini-tournée avec DARKTHRONE, mais les tourneurs ne s’entendent pas. "Wicher" est enregistré dans la foulée, et cette fois-ci une tournée est bookée avec BEHEMOTH et HELHEIM, mais Suclagus se brise la clavicule et compromet la bonne réalisation de la tournée. Elle est abandonnée. Plus tard, après l’enregistrement de deux nouvelles démos, "Recidivus" en 1998 et "Embrace the Darkness" en 1999, Suclagus perd quasiment l’ouïe (qu’il retrouvera intacte en 2015… !). Le groupe reçoit une proposition du label allemand Last Episode Records, mais la signature ne se fait pas… et le groupe stagne jusqu’à se séparer peu après.
Pour revenir à cet album, je dirais que je vous enjoins à écouter attentivement "W Rogatym Majestacie Snu" ("Dans la majesté cornue du rêve"), dans laquelle vous trouverez un très beau Pagan Black Metal mid-tempo que sublimera un très beau solo (c’est assez rare dans le Black Metal de l’époque pour le souligner), que des nappes de claviers fantomatiques engloutiront par la suite. Mention spéciale aussi à "Śpiew Kruków Czarnych Cieni" ("Le chant des corbeaux aux ailes noires"), qui arrive à alterner les ambiances entre motifs atmosphériques et d’autres plus épiques. Malgré un chant criard assez approximatif, et qui pourrait en irriter quelques-uns, je remarque que SACRILEGIUM s’en sort plutôt très bien pour maintenir notre attention d’écoute.
Plus original, et surtout davantage inspiré que leurs compatriotes d’époque, "Wicher" ("La tempête") est un pur album authentique de Black Metal underground, qui, s’il ne s’est pas fait remarquer, mérite vraiment que l’on y jette plus qu’une oreille. De quoi ravir tous les archéologues passionnés du Black Metal d’antan, et qui recherchent à corps perdu les trésors cachés, enfouis, mais sempiternellement intacts.