Je souhaitais démarrer ma première chronique d’un album du moment avec un grand coup. Car oui, cela faisait plus de quinze ans, voire plus… « deux décennies auparavant » – si je souhaitais faire de la littérature ! – un jour à marquer d’une pierre noire. Une grande occasion, faut bien sabler quelque chose ! Car pendant cette longue période à la cave pour vous choisir une bouteille, j’ai exploré dans les arts noirs de nombreux nouveaux domaines dignes d’intérêt et fait l’expérience de merveilleuses années. L’une des plus fameuses : 2021 avec The Cyclic Reckoning de Suffering Hour.
Au black/death habituellement expérimenté sur une cuvée à la Archgoat, le trio américain lui préfère un assemblage plus complexe : millésime des arrangements dissonants, riffing charpenté et diversifié entre blast-beats toniques et – trêve de jeux de mots loupés autour du vin – Suffering Hour sait tout simplement concilier avec justesse la brutalité organique propre au black metal, la dissonance rance de riffs géniaux, et une écriture rythmique toujours étonnante, sur la brèche du trop-plein émotionnel.
En bref, un chef-d’œuvre absolu qui aura intégré le top cinquante de votre serviteur. En deux albums, Suffering Hour s’était imposé avec une réelle intégrité dans un genre qui peut vite devenir redondant : le black metal dissonant. Riffs m’as-tu-vu et écriture parfois maladroitement compliquée, le groupe s’en éloigne tout de suite avec une singularité immédiatement identifiable. Ils ne ressemblent à personne d’autre et maîtrisent à fond cette autre dimension musicale qu’ils incarnent avec succès.
C’est donc avec un sentiment d’impatience mêlé d’un brin d’appréhension que j’aborde Impelling Rebirth. Et les deux premières écoutes ont presque donné raison à certaines craintes. La production, plus massive, plus compacte surtout, s’identifie dès les premières secondes du titre éponyme. Le lead caractéristique sur la guitare rassure un moment sur les sonorités typiquement flamboyantes de Suffering Hour. L’arpège magnifique et éthéré, en mid-tempo, pose une ambiance irréelle. Mais il finit par s’y ressentir comme un manque. Moins de complexité redoutable, moins de chemins tortueux et passionnants, Suffering Hour est devenu plus direct, plus immédiat, comme avec trop d’à-coups, trop secs : Suffering Hour est moins Suffering Hour.
Les écoutes passent. Comme toujours avec un groupe aussi exigeant et implacable, je multiplie les séances. Les écoutes passent mais ne se ressemblent pas. J’ai peut-être passé trop de temps à anticiper une nouvelle sortie du groupe, sans m’attendre à ce parti pris d’explorer en priorité les riffs bœufs, simples et efficaces, parfois bien thrashy. Ils s’y emploient bien, au profit d’un court EP de tout juste un quart d’heure resserré autour de l’essentiel. Brut, compact, direct. Comme des mots. Brefs.
Il est clair que Suffering Hour a décidé de composer une œuvre autour du sentiment d’urgence : une naissance courte, comme une impulsion au regard de la longue gestation (c’est le titre). Trois minutes après avoir été rapidement chié d’un ventre tiède, déjà l’anamnèse, l’histoire de la maladie – incurable – en deux minutes chrono, suivie d’un piteux déni tout aussi bref, et la mort, qui traîne plus en longueur. Le fond épouse la forme et c’est trop rare pour être cité. Ni facilité, ni fainéantise, bien au contraire. Impelling Rebirth est aussi frontal et noir qu’il est court. Et cela désoriente. Je peux regretter le travail d’orfèvre de The Cyclic Reckoning, mais, de tous ses pores, Suffering Hour fait du black metal : le seul dont l’intégrité est le seul poison qui ait autorité pour m’intoxiquer.
Pour un genre devenu prolixe en projets sans identité propre et malheureusement aussi inoffensif, cela mérite une considération profonde, pour un monument que j’appelle aussi intégrité.