Je me souviens instinctivement de ma première écoute de SUMMONING. Elle a commencé une nuit du printemps 1997, ce fut une expérience quasi mystique : emportée par les derniers sursauts d’un soleil couchant, je me décidais à entreprendre une promenade d’avant coucher, accompagnée de mon seul disc-man et du "Dol Guldur" fraîchement acquis via le catalogue Adipocere. J’admirais les éclats rougeoyants muer sur l’écorce des feuillus et parvenais encore à distinguer les tapis ardents sur ceux des épineux. Les lichens magnifiaient les aspects, donnant une fluorescence inattendue à l’immobilité du bois. J’embrassais la nuit au fur et à mesure que la lecture de "Dol Guldur" avançait. J’avais lu Tolkien, je conservais quelques attentes à propos de cet étrange entité autrichienne, parmi d’autres productions de Napalm Records que j’affectionnais, notamment ABIGOR… Le reste de la nuit fut irréelle, une quasi pleine lune allait arranger mon affaire pour les heures suivantes car je m’enfonçais davantage au fond de cette forêt qui m’attendait.

Comme un coup de tonnerre dans un ciel de nuit, j’eus le sentiment de vivre mille vies en l’espace d’une randonnée lugubre à souhait. Le temps n’était plus, il s’était perdu en haut des conifères sombres ou près des racines enchâssant le sentier que j’empruntais. SUMMONING me dictait et me contait l’imperceptible en me donnant l’impression d’être doté de sentiments puissants. La nature se perdait en moi, je voulus me perdre à mon tour et c’est ce qui arriva jusqu’au lever du jour. Je crus être devenu un autre lorsque la piste "Kôr" s’offrit à moi, il m’a semblé alors glisser en moi sur une pente indicible et fantastique à tout point de vue. Le rite initiatique du grand ordonnancement s’était opéré, je ne serais plus le même à partir de cette nuit, je venais d’abandonner une partie de moi consciemment subrepticement.

SUMMONING est le groupe de mon existence, il m’accompagnera jusqu’à mon dernier souffle. Je pourrais vous conter chaque détail de cet album, chaque souffle, chaque approximation, chaque seconde par lesquelles maintes pensées se sont révélées en moi. Je ne peux pas vous décrire raisonnablement cet album et je m’en excuse auprès de vous qui prenez le temps de me lire. J’espère que la relecture de la chronique de Volthord vous conduira vers ce désir. SUMMONING est ce rêve que j’espérais, cette conjonction des instants, ce dérèglement total des sens. De manière plus contemporaine, je dirais que "Dol Guldur" est cet album initiatique qui m’ordonne des frissons immédiats, me fait longer l’espace-temps et repartir en arrière. Mes cellules renaissent et se dupliquent, c’est ma DHEA, mon élixir de jouvence, ma pommade anti-foirage quotidienne.

Pendant très longtemps, je n’ai jamais voulu rien lire à propos de SUMMONING, aucune review ne m’intéressait, je m’en tenais à la sortie de chaque album et faisais de chacun mon affaire. Je laissais les albums se décanter dans ma vie personnelle. Je suppose, cher lecteur, que vous avez aussi ce même processus concernant certains de vos artistes fétiches. Des groupes, des albums vous conquièrent totalement et rendent aveugle de clarté vos pensées. Bien des années après, enfin plutôt une ou deux décennies, j’ai vu passer des critiques concernant SUMMONING sur le côté cheap des claviers de "Dol Guldur" notamment, certains s’en esclaffant pour peut-être désacraliser un culte naissant. Je veux dire à ceux-là que je les emmerde intégralement car je suppose sans certitude mais avec conviction qu’aucun d’entre eux n’a vécu les sorties de SUMMONING, ne s’y est présenté avec la latitude nécessaire ou l’ouverture propice à une écoute cathartique.

SUMMONING m’a sauvé et m’a révélé le sens caché de mon existence. C’est un voyage intérieur qui ne regarde que l’auditeur, où qu’il soit et peu importe l’effet et ce qu’il en résulte, moyennant quoi vous louerez la vie d’avoir mis ce duo autrichien sur votre route.