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Burzum - Filosofem
Chronique par Mordyggian - Publiée le 11/11/2025
Burzum - Filosofem
Note : 6/6
Genre : Black Metal
Année : 1996
Label : Misanthropy Records
Pays : Norvège
Durée : 01:04:33
Tracklist :
1.
Burzum
07:05
2.
Jesu død
08:39
3.
Beholding the Daughters of the Firmament
07:53
4.
Decrepitude I
07:53
5.
Rundtgåing av den transcendentale egenhetens støtte
25:11
6.
Decrepitude II
07:52
Avertissement :
Cette chronique a été rédigée dans une démarche critique et en aucun cas pour promouvoir les idéologies ou opinions politiques éventuellement portées par les artistes.

Cet album m’accompagne chaque jour depuis presque quinze ans. Je ne pourrais en dire autant d’aucun autre. À l’adolescence, mon attirance pour le metal relevait d’une forme d’évidence : elle répondait aux pulsions bouillonnantes de cette période de ma vie. J’errais à travers mes découvertes, sans réflexion ni but précis, fouillant passionnément les archives d’une toile encore balbutiante. Je cherchais cette puissance capable de m’ouvrir d’autres mondes, tout en cultivant ce goût inconsidéré pour la violence propre à ce style.

« Toujours plus extrême » : c’était, s’il y en eut jamais une, la seule logique qui guidait mes goûts à cette époque. J’appelais cela un défouloir, une dose de sauvagerie déversée dans le creux de mes écouteurs.

Vers 2005, quelqu’un me fit parvenir une piste qui allait bouleverser ma perception de la musique. Dunkelheit résonna une première fois dans mon crâne, puis une seconde, puis encore une autre… J’étais sidéré par ce son à la fois glacial et massif. Ce grésillement constant me hante encore, au moment même où j’écris ces lignes, après tant de nuits. Beaucoup trouvent Filosofem insupportable, l’abandonnant après quelques minutes, choqués. Comment leur en vouloir ? Pour moi, cette sidération — presque impossible à décrire — ne fut jamais vraiment égalée depuis. Peut-être une seule fois, alors que je traversais un paysage d’hiver. J’y reviendrai. Peut-être.

Très vite, j’abandonnai toute considération sur la technique ou la qualité de la production. Tout cela appartenait déjà à un autre plan. Le rythme entêtant, parfois obsessionnel, de ces morceaux eut sur moi un tel pouvoir que je cessai de parler de musique pour parler de méditation. À la manière des peintures de Kittelsen qui ornent une partie de l’œuvre, Burzum évoque moins un ensemble de chansons qu’une atmosphère : lointaine, nostalgique, presque intemporelle. On y oublie la guitare, la batterie, les claviers — pour ne retenir qu’un défilé de paysages intérieurs et de sentiments indistincts.

Cette lenteur, inédite dans mes écoutes d’alors, me laissait le temps de contempler le monde autour de moi. Je découvrais l’émerveillement dans les choses les plus simples : la pluie qui tombait doucement, le vent dans les branches, le soleil disparaissant à l’horizon. J’y mêlais mes réflexions, perdu entre ces notes et ces paroles d’une justesse bouleversante, et ce malgré les états dans lesquels j’ai pu m’abandonner au fil de milliers d’écoutes. Cette magie mélancolique opérait sans relâche, dans un équilibre parfait entre tristesse et haine. Elle agit encore aujourd’hui.

J’aime penser que Filosofem explore l’idée d’une acceptation des ténèbres comme une lumière nouvelle, paradoxale. C’est une forme de vie que l’on découvre au plus profond de la solitude, au milieu de la mort et de l’obscurité. Une inversion existentielle : la croix du Christ retournée, devenue Mjöllnir. Les ténèbres tombent, et nous entrons dans ce royaume nocturne, intact et pur, qui redonne sens à la vie. Une ombre informe s’y débat un instant dans l’éternité. N’étant pas à sa place, elle succombe finalement. Alors commence la longue marche à travers la forêt primordiale, sous les étoiles. Fatigués de ne jamais trouver de réponses, nous nous allongeons dans l’herbe, laissant pourrir notre corps. Quand notre esprit renaît, il erre indéfiniment dans le temps et l’espace.

Je ne sais toujours pas, même quinze ans plus tard, ce qui fit que Filosofem m’enveloppa presque instantanément dans sa parure de nuit pour ne jamais me lâcher. Des milliers d’albums ont défilé depuis, de tous genres confondus, mais celui-ci domine encore, solitaire, au sommet de ma citadelle intérieure. Pas un jour ne passe sans que je ne m’y perde à nouveau, au gré de mon moral, de mon désespoir ou de mes attentes.