Les Italiens de EVOL concentrent en cet EP d’une bonne durée tout le savoir-faire qu’ils ont accumulé depuis des années. En gommant leurs dernières hésitations et en stabilisant leurs dernières maladresses, les Padouans nous offrent en cette riche année 1998 un panorama riche et mélodique de leur singularité. Peu de choses pourtant ont bougé. Le groupe continue sa progression dans son univers médiévalisant et sobrement mystique, alternant de manière bien plus intelligible son Black Metal ésotérique avec des passages symphoniques de toute beauté. À la différence notable cependant que le groupe tentera quelques parties expérimentales point désagréables. Nous y reviendrons.
Le chant de Prince Of Agony (Giordano Bruno (*)) – qui avait pu être un irritant sur les précédents albums – se trouve ici mieux mixé et déploie un jeu plus inspiré. Rien à redire du côté des orchestrations dont il a la charge, car au sein de ce petit EP, qui ne paie pas de mine et s’est fait oublier entre deux albums, le sieur a déployé un vrai talent. Prenez en considération ma remarque et écoutez ce titre d’ouverture passionnant qu’est "The Tale Of The Witchlord". Ses dix minutes paraissent pourtant bien courtes, tant son labyrinthe sonore s’offre comme une aventure riche en émotions diverses. Passages atmosphériques, acoustiques, « virevoltements » de nappes mystérieuses et incandescentes… il y aurait beaucoup à dire. Mention spéciale et adoubement certifié au très beau break apparaissant vers les 06:30 et qui étreint et éteindra les dernières minutes du titre avec brio.
Un mot également à ce titre assez génial qu’est "Das Gemiedene Schloß" qui, sous la houlette de la diction ténébreuse de Princess Of Disease alias Suspiria, nous conte une histoire chevaleresque, tout claviers entourant, dans la langue de Goethe. Peut-être que certains souriront encore mais, pour ma part, je suis enchanté par ce conte moyenâgeux. Enfin, lorsque je vous parlais des expérimentations en introduction, je voulais vous parler surtout de "Phenomena" qui, avec ses claviers un poil cosmiques et à la MORODER, nous fait arpenter une autre contrée du groupe. Purement instrumental, ce titre divisera sans doute l’auditoire du fait de son parti pris. Mais cela fonctionne chez moi. Enfin, "Ancient Abbey" comporte un titre, "Ancient Abbey (Thunder Remix)", qui paraîtra sur la sortie suivante et dernier album du groupe "Portraits". Sans doute le titre le plus convenu et le moins singulier de l’EP. Très Black Metal dans son approche, il ne s’approchera pas des autres morceaux présents sur l’EP et même, d’une certaine façon, en dénotera.
Souvent raillés, mais jamais précieusement et sérieusement écoutés par un large public, les Italiens de EVOL ont pourtant eu un succès d’estime et auront marqué leurs époques. Avec du labeur, des maladresses mais aussi beaucoup de rigueur et d’originalité, les Padouans ont pour moi atteint leur acmé discographique avec "Ancient Abbey". En bouclant la boucle de cet EP avec un titre fondateur, "Prologue (Waiting for His Coming)", et paru sur la première démo du groupe "The Tale Of The Horned King" en 1993, EVOL nous montre toute l’étendue de leur talent mais aussi le chemin parcouru depuis ces quelques années. En tous cas, selon moi et à mon humble avis, s’il vous fallait prioriser l’écoute d’un disque de EVOL, je vous conseillerais "Ancient Abbey", pour toutes les raisons suscitées, mais également pour vous faire entendre ce que voulait dire le mot originalité à la fin des années 90s dans ce milieu-là.
(*) Giordano Bruno était un frère dominicain, philosophe, théologien, astronome et mathématicien occulte qui a vécu à Naples pendant la Renaissance et a été victime de l’Inquisition papale, qui le livra au bûcher pour hérésie en 1600. Il est l’un des premiers martyrs du savoir rationnel. Prince Of Agony de EVOL sortira un recueil de nouvelles ésotériques inspirées par ses travaux en 1998, "Frammenti", via le label Adipocere Records avec lequel le groupe était en contrat.