Dès les premières secondes de "Pabudimas", nous sommes comme enveloppés par la grâce du chant passéiste et si mélancolique de Vilma Čiplytė. Si vous avez un peu suivi mes écrits, vous pourrez remarquer que le line-up de HA LELA, obscur groupe lituanien, comporte en son sein les imminents membres de ZPOAN VTENZ, et afin d’éviter de saugrenues redites, je vous renverrai « chaudement » à la chronique de leur unique album "Gimę Nugalėt" éditée en ces pages. Autour de la personnalité de Ramūnas Peršonis, le compositeur émérite de ces deux groupes (n’omettons pas de nommer son autre projet POCCOLUS et son unique album, éponyme, qui mérite d’être mis en lumière très prochainement par mes soins), vont s’agréger toute une bande de jeunes musiciens épris de l’histoire et des accents singuliers de leur pays. Et HA LELA, vous l’aurez compris sans doute, représentera cette agrégation subtile d’un Black Metal volontiers coloré d’atmosphères slaves (baltes pour être plus exact) et de motifs folkloriques.

Constituant à eux seuls (si l’on n’omet pas de citer OBTEST), toute l’antériorité des premiers pas du Métal noir foulant le sol lituanien, cette génération se comptant sur une petite poignée de mains, va pourtant porter l’étendard de la sombreur sur les terres sauvages et verdoyantes de leurs contrées. Et ces vestiges (je parle de leurs albums tant oubliés et méconnus), si du moins ils en sont, ont pourtant un éclat puissant voire magnifique à certains endroits. "Pabudimas" est l’expression assez géniale de compositions très personnelles et ne ressemblant à nulle autre. Porté par des claviers intemporels et emplis de nostalgie, cet unique album nous fait voler et planer dans les plaines lituaniennes exhalant l’histoire du pays. De son rapport trouble avec la Pologne, à son annexion forcée à l’Empire russe et au diktat de celui-ci… Alors, ne vous attendez pas à un album d’une bellicosité folle, mais plutôt, à l’instar d’un DRUDKH ou d’un STWORZ, à de très beaux morceaux sinueux dans les ambiances qu’ils distillent, et serpentant authentiquement entre atmosphères païennes par l’appui d’instruments traditionnels (Kanklės, Dambrelis, Lumzdelis, tambourin), folklorisme ambiant et Black Metal mid-tempo.

Le concours du chant féminin – que je trouve magnifique – de Vilma Čiplytė ainsi que les très belles vocalises des autres membres du groupe, chacun bien ancré à son poste (chœurs, chant rageux, voix claire, incantée, spoken word), fait proliférer beaucoup d’émotions au sein des titres. "Pabudimas" comporte beaucoup d’idées mais un fil rouge tient. Avec le très entraînant et introductif titre éponyme, HA LELA embarque l’auditeur très vite sous les meilleurs auspices. Alors que dire des autres ? Entre un "Audros Širdis Ir Kraujas" vampirique, lugubre par endroits, suintant les souterrains et la nuit, mais mélancolique à souhait, un "Išjojo Bernelis" épique, vaillant, tourmenté et guerrier, une superbe pièce instrumentale, "Šokis... Septyni Ratai", avec sa flûte mystérieuse, nous invitant à retourner dans le passé glorieux, ou bien encore un "Reikėjo Žengti Tris Žingsnius" – acmé de l’album ? – émouvant, radieux et taciturne à la fois, il paraît complexe de faire la fine bouche. Et si je ne vous parle pas des autres titres, c’est bien que je ne souhaite pas trop traîner en longueur, au risque de vous perdre. Seul, "Kardarankis", le titre concluant "Pabudimas" sur la réédition de l’album paru en 2021, me fait légèrement sourciller. Son côté expérimental, sans doute cherché (le groupe, je l’imagine, cherchant sans cesse de nouveaux chemins à conquérir), a plutôt tendance à retomber à plat, bien que j’aie envie de dire : pourquoi pas ? De toute façon, nos chers Lituaniens ne l’avaient pas conservé pour la tracklist finale originelle.

Vous l’aurez compris, cet album est une vraie pépite du temps passé. Il ravira les amateurs d’un Black Symphonique fortement teinté par les mélodies riches des guitares, les arpèges d’instruments traditionnels. La production, un peu « lo-fi » et quelque peu rustique, rajoute du caractère à cette œuvre qui n’en manquait déjà aucunement. Comme un ZPOAN VTENZ Black Métallisé, HA LELA réussit un coup de maître, que seule une poignée d’initiés ont très certainement apprécié en son temps. Dans les cercles obscurs, les archives et les terreaux fertiles, il est plus que temps de réhabiliter, de porter aux nues et d’éclairer ce "Pabudimas" généreux, marqueur d’un pays, d’une scène et d’une génération admirable et enivrée. Pour ma part, je vous quitte et je pars en vadrouille avec "Prakeiktas Troškimas" dans les oreilles, mon âme sait pourquoi.