Pour ceux qui ont béni des dieux les premiers albums de WYRD, il existe bel et bien outre-Atlantique un frère d’armes dévastateur répondant au sombre nom de I SHALT BECOME. Les rugueuses lamentations de son géniteur, S. Holliman, autant mystérieux que ténébreux, habitent l’album, et pas qu’un peu. Vénéré par les franges les plus extrêmes des adorateurs de Black Metal, cet album culte se doit de prendre place au sein de ce webzine.
Son aura enténébrée, sa production approximative et ses ambiances brutes et froides à la fois font de "Wanderings" une ode à la nuit, à l’enfer des brumes, et au despotisme. I SHALT BECOME est un diable froid qui, à l’instar de BURZUM, sait instinctivement infecter son auditeur. Le grésillement permanent des guitares forme cette grisaille maussade et hostile. Le mid-tempo hypnotique à son paroxysme, les voix ensorcelantes, la torpeur suffocante des riffs embrassant le cœur des angoisses les plus apeurées, donnent naissance à des titres malaisants tels que "Insects", "The Funeral Rain" ou bien encore l’inénarrable "Fragments" – titre suprême de cet album revêche. D’ailleurs, si je m’arrête un peu auprès de ce titre pour sagement l’observer du coin de l’œil, c’est aussi pour vous dire qu’il fait partie de cette poignée d’œuvres noires qui coulent dans mon sang. Comme un corps à corps charnel avec la mort et les cadavres parfumé d’odeurs acres, de matières putréfiées captant des sensations interdites, "Fragments" et "Funeral Rain" font de cet album une partie de la bande-son d’un cauchemar éveillé.
En 1998, peu de groupes au sein du Black Metal, hormis BURZUM, avaient pris le parti de ralentir le tempo pour asseoir l’ambiance à se propager d’elle-même. Nul besoin de blasts incandescents, ni d’époumonnements frénétiques ou de brusquerie à l’emporte-pièce dans les premières œuvres du comte Grischnack. Le venin de sa musique s’agitait dans l’air comme autant de phéromones mortelles. Et I SHALT BECOME a aussi emprunté ce chemin que le comte funeste avait découvert. Bien avant les albums torturés et tortueux de LEVIATHAN et de XASTHUR, et contemporainement à JUDAS ISCARIOT, S. Holliman a plongé l’USBM dans le chaos poisseux. Et si "Labyrinthine" augmente la fréquence cardiaque de son tempo, c’est aussi pour faire monter l’angoisse et la peur. Voyez-vous ce duo de charognards sur cette pochette voltiger au-dessus de vos crânes pour mieux les atteindre et les attaquer ? Sont-ce des créatures ? Sont-elles encore vivantes ? Lorsque "A Once A Great Man" nous susurre son amertume, la grisaille alentour se fait de plus en plus épaisse et noircit à dessein. La nuit s’empare du jour et répand l’œuvre de la mort. Plus rien ne luit, il est trop tard.
"Wanderings" est saisissant à plus d’un tour. Ce Black Metal se morfond dans un Ambient funéraire et oppressant. À l’instar de certains titres de FOREST SILENCE, crapuleux et crasse, I SHALT BECOME nous envahit et impose son cortège d’émotions blafardes et vénéneuses. D’autres albums suivront – quoiqu’une décennie plus tard – et auront aussi leur lot d’intérêt, mais pas autant que celui-ci. "Wanderings" aime à se loger dans votre cœur tel un parasite entêté et patient. Œuvre noire et salement grandiose.
N.B. : Réédité en CD par Moribund Records en 2006 afin de pallier au pressage initial au format cassette, l’authenticité du son a été respectée.