
Les amateurs de black metal atmosphérique connaissent forcément l’un des groupes de D., puisque tel est son nom. L’Australien est surtout connu pour Woods Of Desolation, qui sort pépite sur pépite depuis ses débuts en 2005, mais officie également dans Forest Mysticism ou encore Unfelled. Alors, en grand amateur de l’œuvre du bonhomme, j’ai voulu m’entretenir avec lui en mode rétrospective.
Salutations D. ! Merci d’accorder cet entretien à Black Devotion. 2025 marque les 20 ans de la création de Woods Of Desolation. Te rappelles-tu ce qui, à l’époque, t’avait motivé à te lancer dans l’aventure du black metal ?
Oui, c'est vers 2005 que j'ai décidé de former mon propre groupe, qui allait devenir Woods of Desolation. À l'époque, je voulais créer de la musique en toute liberté, comme je le souhaitais, quand j'en avais envie et besoin. J'ai acheté une batterie et du matériel pas cher, et j'ai commencé à improviser et à composer sans aucune distraction extérieure. Vingt ans plus tard, mes motivations sont restées les mêmes.
Sur la majorité de tes productions, comme on le verra plus tard dans cet entretien, tu joues de tous les instruments. Comment en es-tu venu à maîtriser la guitare, la batterie, la basse, etc ?
Je ne prétends pas maîtriser un instrument, car je suis entièrement autodidacte et ne possède que des connaissances théoriques rudimentaires. J'ai commencé par la guitare, puis la batterie par nécessité, pour pouvoir accompagner ma propre musique (idem pour la basse). Tout ce que je fais repose sur le « ressenti » plutôt que sur la connaissance des accords ou autre – accords que je n'ai d'ailleurs jamais vraiment appris – mais mes compétences limitées m'ont tout de même permis de créer, et c'est tout ce qui a toujours compté pour moi.
J’ai personnellement découvert ton travail avec les cassettes de « ...Of An Undying Cold » et surtout du split entre Forest Mysticism et Larmes d’Hivers, en 2007 (je ne remercierai jamais assez la distro I.Ex M.N qui travaillait à l’époque avec Ruin Productions pour faire venir ces cassettes en France, mais je digresse). Quel était l’idée artistique derrière la création de ce deuxième projet en parallèle de Woods Of Desolation ?
Avec le recul, ces premières années, entre 2005 et 2007, furent une période particulièrement inspirante, et je me sentais de plus en plus à l'aise pour composer et enregistrer seul. J'avais commencé à découvrir et à consolider la voie créative que je jugeais nécessaire pour Woods of Desolation, et j'ai fini par créer une musique qui, à mon sens, s'écartait de ce cadre. C'est ainsi qu'est né Forest Mysticism.
De manière plus générale, quelles sont tes influences, passées et présentes, lorsque tu composes ta musique ? Est-ce que des œuvres littéraires ou cinématographiques ont ou ont eu un impact sur ta création musicale ?
Au fil des décennies, j'ai écouté beaucoup de musique, lu beaucoup de livres, dont certains que j'ai beaucoup appréciés, mais je ne suis pas certain de leur influence directe sur ma musique. Comme je l'ai mentionné plus haut, mes capacités d'interprétation et de composition ont toujours été limitées à mes propres ressources ; j'ai donc toujours cherché à créer à partir de mon intuition et à composer la musique qui me venait naturellement, plutôt que de m'inspirer d'autrui ou de l'imiter.
Pendant les premières années de Woods Of Desolation (toutes les démos initiales, les deux splits avec Vorkuta et Drohtnung, et le premier album « Toward The Depths »), le groupe était un duo, constitué de toi et de Phil Knight. Qu’est-ce qui a fait que tu as continué l’aventure en solo à partir de l’EP Sorh en 2009 ?
Je suppose que c'était malheureusement dû à des raisons logistiques et géographiques. Phil Knight se trouvait à l'autre bout du monde, au Pays de Galles, et moi en Australie. La technologie en 2005-2006 n'était pas aussi avancée qu'aujourd'hui. Par exemple, je lui envoyais les morceaux instrumentaux sur CD-R par la poste, puis il enregistrait les voix par-dessus et me renvoyait le tout ; comme tu peux l'imaginer, c'était un processus assez long. De nos jours, on peut envoyer des fichiers numériques multipistes à l'autre bout du monde en quelques minutes. Quoi qu'il en soit, je ne garde que de très bons souvenirs de ces premières années, à tel point que je pense que c'est probablement ma période préférée de Woods of Desolation.
Deux ans plus tard, en 2011, Forest Mysticism s’arrêtait (pour mieux renaître quelques années après, mais on y reviendra plus loin) sur la sortie d’une compilation qui regroupait tous les morceaux créés sous cette bannière. Pensais-tu avoir fait le tour du projet artistique avec cette entité, ou était-ce plus simplement le besoin de se consacrer plus intensément sur Woods Of Desolation (ou une toute autre raison) ?
Ouais, exactement ça. J'avais le sentiment d'avoir fait le tour de Forest Mysticism et il me semblait préférable de concentrer mon énergie sur un seul projet.
2011 a également vu la signature de Woods Of Desolation chez le label Allemand Northern Silence, à l’occasion de la sortie du deuxième album « Torn Beyond Reason », alors que « Sorh » était auparavant sorti chez son compatriote Eisenwald. Ce sont là deux poids-lourds du secteur, qui étaient déjà établis depuis une bonne dizaine d’années. Y as-tu vu l’opportunité de changer de dimension ? Qu’est-ce qui a fait que tu sois allé chez Northern Silence plutôt que de rester chez Eisenwald ?
Je ne me souviens plus exactement des détails de cette signature. Je crois que j'avais envoyé quelques promos et Northern Silence semblait le plus intéressé et enthousiaste. J'avais déjà vu certaines de leurs productions et je savais que la qualité serait au rendez-vous – et ça a toujours été le cas, notamment avec les albums Woods of Desolation (et Remete plus tard).
Après la sortie de « As The Stars » en 2014, il y a eu un hiatus de huit ans pour Woods Of Desolation, période que tu as mise à profit pour relancer (à mon grand plaisir) Forest Mysticism, en 2017. Pourquoi cette pause avec ton groupe principal, et pourquoi en avoir profité pour ressusciter cet autre projet à ce moment-là, six ans après son arrêt ?
Je suppose que je n'ai jamais vraiment considéré ces huit années comme une pause pour WoD, car je continuais d'écrire et de créer du contenu. Je n'ai simplement jamais ressenti d'urgence ni d'inquiétude quant à la publication de contenu à tout prix. Mais pendant cette période, j'ai écrit beaucoup de choses qui n'étaient pas destinées à Woods of Desolation. Certains de ces textes m'ont naturellement semblé correspondre à Forest Mysticism, j'ai donc décidé de les reprendre et de les publier sous ce nom.
La même période a vu la naissance de deux nouveaux projets : Remete et Unfelled. Parlons d’abord du premier, dans lequel tu es à nouveau seul maître à bord. On reconnaît instantanément ta patte artistique dans ce groupe, à mi-chemin entre le côté très brut de Forest Mysticism et celui plus travaillé de Woods Of Desolation (selon moi). Es-tu d’accord avec la distinction que je fais entre ces trois groupes ? Ou y a-t-il une autre volonté artistique que tu as spécifiquement voulu insuffler à Remete ?
Oui, je serais assez d’accord avec toi. Je pense que les auditeurs y reconnaîtront des éléments de mes autres projets. C'est sans doute inévitable. Mais dès qu'une idée se développe, je sais à quel projet elle sera associée : chaque projet a pour moi une atmosphère et une ambiance bien distinctes. Je crois avoir réussi à retranscrire assez fidèlement cette vision pour Remete avec « Into Endless Night ».

Évoquons maintenant Unfelled, que tu as créé seul au départ, mais que tu partages désormais avec ton compatriote Desolate au chant (que l’on retrouve dans Austere notamment, mais aussi dans beaucoup d’autres groupes) et l’Ukrainien Vlad à la batterie (plus connu pour officier dans le très célèbre Drudkh, mais qui s’était déjà occupé de la batterie sur « As The Stars »). Pourquoi avoir fait appel à ces deux musiciens de talent pour t’épauler dans ce projet ?
Ayant mené de front trois autres projets, j'ai estimé nécessaire de donner à Unfelled une ambiance un peu différente en y intégrant les contributions d’autres personnes.
Je mentionne Austere avec qui tu collabores sur Unfelled, et je me permets donc une petite digression : que penses-tu de la scène Australienne ? As-tu des recommandations à nous faire pour découvrir les groupes que tu écoutes et apprécies dans ton pays (qu’ils fassent du metal ou pas) ?
Je ne saurais pas vraiment dire quels groupes sont encore actifs, désolé. Je n'ai pas vraiment suivi l'actualité musicale australienne depuis un bon moment. Je crois que ça fait une quinzaine d'années que je ne suis pas allé à un concert ici.
Toujours en 2017, tu as également crée ton propre label : Cold Ways, sur lequel tu as sorti certaines de tes propres créations. Quelles étaient tes motivations pour lancer Cold Ways ? Envisages-tu de produire et/ou distribuer d’autres artistes ?
L'objectif de Cold Ways était de créer une plateforme pour diffuser ma propre musique. Participer à toutes les étapes d'une sortie, de l'écriture à la mise en page, jusqu'au produit final et à la distribution, a été une expérience enrichissante. Malheureusement, je n'ai actuellement ni le temps ni l'opportunité de produire d’autres groupes sous la bannière de Cold Ways, mais j'aimerais beaucoup y revenir à l'avenir.
Petite question transverse, mais j’ai remarqué que tu aimais tout particulièrement sortir tes créations au format cassette (une box compilant sous ce format les trois albums de Woods Of Desolation produits chez Northern Silence est d’ailleurs sortie en 2023, un bien bel objet). Qu’est-ce qui te parle dans ce format par rapport au CD ou même au vinyle ?
Idéalement, si cela ne tenait qu'à moi, je proposerais toujours une version cassette pour les sorties. Il fut un temps où je collectionnais presque exclusivement les cassettes (je préférais souvent le son plus brut et le côté plus inspiré des démos des groupes). À l'origine, j'avais même prévu de ne sortir que des démos avec Woods of Desolation et Forest Mysticism !
Il est regrettable que le format cassette soit devenu si coûteux à produire et à distribuer. La démo (et les sorties cassettes en général) est aujourd'hui souvent délaissée par les groupes, qui lui préfèrent le format numérique. C'est vraiment dommage, mais c'est mon avis. Beaucoup de choses ont changé depuis mes débuts et je ne les apprécie pas.
Donc, après diverses sorties sur ces trois projets parallèles, un nouvel album de Woods Of Desolation est sorti en 2022, « The Falling Tide », toujours avec Vlad derrière les fûts mais cette fois chez les Français de Season Of Mist. À mon sens, cette signature représente encore un changement de paradigme significatif tellement ce label abrite des groupes d’envergure. Comment est-ce arrivé et quelles sont tes ambitions pour Woods Of Desolation chez cette importante maison de production ?
Season of Mist m'avait contacté vers 2015 pour signer Woods of Desolation, je crois, et heureusement, ils étaient toujours intéressés quand « The Falling Tide » a enfin été prêt. Idéalement, j'aimerais un label qui garantisse la disponibilité de pressages de qualité pour les albums et une distribution adéquate, ce que fait Season of Mist. Mais en ce qui concerne mes ambitions, je dirais qu'elles restent les mêmes qu'à mes débuts avec WoD il y a 20 ans : créer la musique que j'ai envie de faire. Contrairement à d'autres, je n'ai jamais vraiment eu d'ambitions particulières pour mes projets. Je ne cherche ni à gagner en popularité, ni à attirer l'attention, ni à faire des tournées, ni à me constituer un réseau. Je veux simplement créer, tout simplement. Et ce sera toujours le cas jusqu'à ce que je décide d'arrêter.
Un jour, souhaites-tu pouvoir emmener Woods Of Desolation, ou un autre de tes projets, sur la route et explorer la dimension que pourrait avoir ta musique en live ? Si oui, aurait-on une chance de te voir de ce côté-ci de la planète ?
Je reçois souvent des propositions pour me produire à l'étranger, mais je peux te dire qu'il n'y a aucune chance que je joue en live. Cela ne m'intéresse absolument pas. Comme je l'ai évoqué plus haut, je me suis rendu compte que mon approche de la musique est probablement assez différente de celle des autres. Je n'ai jamais ressenti l'envie de jouer ou d'écouter de la musique avec d'autres musiciens en concert ; la musique est pour moi quelque chose de personnel et d'introspectif, et me produire en live me semble diamétralement opposé à cela. Ce sentiment se renforce avec l'âge.
Nous voilà arrivés à la fin de notre rétrospective sur ton œuvre. En cette fin d’année 2025, que peux-tu nous dire sur la suite des évènements pour toi et que peut-on te souhaiter ? Encore merci de ton temps, le mot de la fin est pour toi !
Merci pour tes questions, j’apprécie vraiment ton intérêt. Honnêtement, je ne sais pas ce que l'avenir me réserve. Le temps et les opportunités de création ne sont plus ce qu'ils étaient. Idéalement, j'aimerais publier un nouvel épisode de Remete à un moment donné, mais on verra bien.
Bonne chance pour votre webzine !
D.
Woods Of Desolation : https://woodsofdesolation.bandcamp.com
Forest Mysticism : https://forestmysticism.bandcamp.com
Remete : https://remete-northernsilence.bandcamp.com
Unfelled : https://unfelled.bandcamp.com
Cold Ways : https://coldwaysmusic.bandcamp.com